( 121) Vieillir comme on peut...

2 octobre 2008 – Vieillir, cela se vit tous les jours. C’est normal, la vie nous tire par en avant. La machine à reculer le temps n’existe pas encore, sauf dans les films de sciences-fictions comme dans le sympathique Retour vers le futur sorti en salle en 1985. On se rappellera sans doute de Marty McFly, ce jeune adolescent de son temps, tenant compagnie à un vieux savant excentrique du nom de Dr. Emmet Brown. Quelle comédie de bon goût jouée avec brio par Michael J. Fox et Christopher Lloyd et regorgeant d’actions époustouflantes, d’humour rafraîchissant et d’innovations cinématographiques. Pour plusieurs aînés de chez nous, vieillir, c’est loin d’être une comédie. On ne peut reculer le temps, refaire nos vies ou reprendre le temps perdu. La vie, c’est inexorablement la somme de nos expériences, de nos succès, de nos échecs, de nos espoirs. On vieillit souvent comme l’on peut, avec l’héritage reçu de ceux qui nous ont tracé le chemin, mis au monde. La vie est un dur combat!

N’empêche que la Journée internationale des aînés que nous célébrons le 1er octobre nous fait voyager dans le temps, même dans le cyberespace. Sous le thème « Pour la suite du monde… », on organisera sans doute un peu partout sur la planète des événements, des activités pour sensibiliser davantage la population à la vie des aînés, à tous ceux qui nous ont précédés, qui ont fait naître notre propre histoire. Certes, on ne peut pas voyager dans le temps, mais on peut, en l’espace de quelques minutes, parcourir le monde grâce à la magie d’Internet.

Le vieillissement est devenu « une préoccupation planétaire » affirmait Claude Béland, coprésident de la 9e Conférence internationale sur le vieillissement tenue à Montréal au début septembre. Le Québec a 50 ans mes amis! La pyramide des âges a changé de bord et le monde doit s’adapter, car la vieillesse s’étend aujourd’hui de 60 à 100 ans. Ces années sont parfois cruciales sur le plan santé, mais elles peuvent être aussi très riches humainement et socialement. Antonine Maillet disait : « Ceux qui aiment vivre vont vouloir que leur vieillesse soit vivante, tout en étant conscients qu’ils s’approchent de la mort. » Vieillir, c’est aussi mourir un peu chaque jour. C’est l’inévitable passage des ans, mais vieillir c’est aussi être porteur de tant de beautés, de sagesse et de lumière.

Il faut bien se rappeler la boutade qu’un vieux pommier ne donne pas nécessairement de vieilles pommes. À tous les âges de la vie nous sommes porteurs de rêves, nous pouvons donner la vie. Au contraire, ces pommes sont souvent plus savoureuses, voire exquises. Au fait, être vieux, c’est aussi apprendre et savoir vieillir patiemment et entièrement. Notre société est centrée sur le ici et maintenant, désirant nier les traces du vieillissement : on efface les rides, on colore les cheveux gris, on camouffle l’inacceptable passage des ans. On fait tout pour arrêter le temps, reculer les frontières de la vieillesse au lieu de l’apprivoiser comme une amie. Nous sommes des humains après tout!

Pourquoi, en cette Journée Internationale des aînés, ne pas reconnaître nos aînés comme des citoyens à part entière, des personnes riches d’un passé héroïque et d’une culture inouïe; des personnes capables de rêver encore d’une société meilleure et d’y apporter leur généreuse et créative contribution?

Les turbulences des marchés boursiers sévissant ces jours-ci n’ont rien pour les sécuriser. Ils ne sont pas tous financièrement à l’aise nos aînés. Attention, plusieurs d’entre eux vivent dans la précarité, parfois ignorés des leurs, avec de légères économies durement gagnées. Vulnérables et sans le sou, plusieurs d’entre eux vivent dans l’angoisse et la maladie. C’est aussi cela vieillir chez nous. Ce n’est pas toujours rose la vie d’une personne aînée, surtout quand la maladie vient miner sournoisement les forces vives qui lui restent. Le quotidien nous procure pourtant l’occasion de nous arrêter un peu, de saisir l’importance des petites choses, l’essentiel de la vie quoi! Il s’agit de la saisir au bond.

Un jour, je me souviens avoir croisé le regard d’un vieillard qui m’a profondément bouleversé. Lors d’une mission dans un pays du Sahel, je me rendis dans un village bambara où se cordaient les unes contre les autres de petites cases africaines en terre battue, coiffées de paille séchée. Tout à coup, mes guides me signalèrent qu’un vieux du village voulait me rencontrer, qu’il avait quelque chose d’important à me montrer. J’acquiesçai donc avec gentillesse et on m’amena ce vieillard tout courbé, vêtu d’une tunique africaine. Un visage émacié et ridé se profilait devant moi, des petits yeux brillants semblaient donner vie à ce corps fragilisé par l’usure du temps. Il s’approcha tout doucement de moi en sortant timidement de sa poche un bout de papier journal froissé. J’étais intrigué par cette rencontre inattendue. Tendant lentement les mains vers moi, il ouvrit avec ses mains rugueuses et avec tant de précaution ce bout papier qu’il tenait bien serré. Je sentais que c’était quelque chose de précieux pour lui. Au fond de ce papier chiffonné et poussiéreux se trouvait une vieille pièce d’un sou américain. Imaginez, une cenne noire! C’était son secret, son trésor!

Dans mon for intérieur, je me sentais démuni; je ne pouvais lui dire que cela ne valait pas grand-chose, disons rien. Tout le monde autour de moi était silencieux et attendait quelque chose de ma part. Je ne dis absolument rien. Je pris tout simplement ses mains, meurtries par le dur labeur de la terre, dans les miennes en les refermant tout doucement et en le regardant bien dans les yeux. J’ai cru me perdre un instant dans son histoire marquée sans nul doute par la douleur, la misère, la souffrance. Vivre dans l’espoir de survivre, c’était la réalité quotidienne d’Ibrahima! J’esquissai alors un large sourire en inclinant la tête. Ce vieillard au dos courbé méritait avant tout mon respect.

Je n’ai jamais plus oublié ce regard avide d’espoir, de quelque chose de meilleur pour lui et les siens. Il y a des mots qui ne peuvent traduire ce que l’on ressent. Il y a de ces rencontres rarissimes qui nous chamboulent et nous font grandir intérieurement. Vous connaissez sans doute des aînés malades, vivant dans la solitude et la précarité. Ils n’attendent de nous qu’un regard, qu’un petit mot, qu’une main tendue, qu’un sourire radieux. Mes amis, le cœur est à la tendresse en cette Journée internationale des aînés.

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11 commentaires:

Auditeur RVM a dit...

(Luc Hamelin) Bravo DG! Un superbe texte. Je lis vos nouveaux articles avec pas mal d’intérêt. Vous abordez des questions de fond. On sent que c’est réfléchi. Merci. 5-10-08

Auditeur RVM a dit...

(Jeanne Simard) Mon cher monsieur, vous m’avez fait pleurer. Merci pour ce beau témoignage. J’ai lu deux fois votre texte. Nous, les aînés, nous sommes souvent oubliés. Pour ma part, j’ai trois enfants qui ne me visitent plus. On dirait que la société nous met au rancart. Pourtant, nous avons travaillé très fort. Encore merci pour votre reconnaissance. Cela fait du bien. 4-10-08

Auditeur RVM a dit...

(Rolland Danis) Extraordinaire! Bonjour, Jean-Guy. Ton récit de la rencontre avec le vieil Africain m'a touché aux larmes. C'est beau! 3-10-08

Auditeur RVM a dit...

Lucienne Tremblay) J’ai été très émue par ce magnifique texte sur la vieillesse. Vous avez une superbe plume pour nous raconter l’essentiel des choses. Ce texte m’a beaucoup touché. Toutes mes félicitations. Continuez de nous ravir. 3-10-08

Auditeur RVM a dit...

(Jean-Maurice Huard) Le monde moderne a mis devant les yeux des personnes âgées partout où elles demeurent, le téléviseur qui s'agrandit de plus en plus à chaque année. Ça aide surtout à oublier! Pourquoi ne retournez-vous pas au bon vieux téléphone de jadis et ne composez-vous pas le numéro d'un vieux collègue ou d'un ami plus récent. Vous constateriez alors que c'est encore l'instrument qui communique le mieux et fait le plus plaisir. 3-10-08

Auditeur RVM a dit...

Jacques Poirier) Chapeau pour ce beau texte. Vous avez les mots justes. Je l’ai imprimé pour le passer aux résidants du Manoir ou je vis. Cela m’a beaucoup plus. J’espère que beaucoup de lecteurs sauront faire connaître ce texte. Encore merci pour ce respect de nous les vieux. 2-10-08

Auditeur RVM a dit...

(Georges Picard) Ce texte est vraiment inspirant... J'y trouve matière à réflexion...et à méditation... Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion d'avoir quelques pensées nouvelles pour enrichir mes "petites dévotions" quotidiennes. En toute gratitude! 7-10-08

Auditeur RVM a dit...

(Maguerite Blais) Merci pour l'envoi de ce texte que j'ai lu avec grand plaisir. Je suis toujours heureuse de te revoir. 7-10-08

Auditeur RVM a dit...

(Martin Senay) J’ai été très touché par votre texte sur les aînés. Comme vous le dites si bien, il y a des rencontres dans la vie qui nous chamboulent. Votre texte a ce même effet. Bonne continuation. 7-10-08

Auditeur RVM a dit...

(Diane Robert) J’ai été beaucoup touchée par votre texte. Cela me rejoint beaucoup. (12-10-08)

Auditeur RVM a dit...

(Louise Alary) En lisant ton article, j'ai retenu plusieurs éléments qui ont enrichi mes réflexions... Tes propos, des mots clés qui me conviennent, je les ai réfléchi en considérant les facettes quant à moi réalistes. Ceci n'est pas une thèse... ce ne sont que des observations personnelles...

Vieillir, c'est hélas...
Il est certain qu'avec la vieillesse s'installe l'angoisse d'avoir besoin des autres. La dépendance est souvent vécue comme une honte, surtout si, plus jeunes, la débrouillardise était connue de tous.
La perte de son énergie de jeunesse, l'obligation de bouleverser ses habitudes et tant d'autres changements se vivent comme un deuil. On est vulnérable aux malaises de toute sorte. La peur nous envahie sans crier gare. Le non respect, la violence, la pauvreté et tant d'autres éventualités menacent les vieillards qui se sentent de plus en plus vulnérables au fil des années qui s'ajoutent. Souvent, la dépression fait son oeuvre.

On me demande parfois qu'elle est la plus grande des pauvretés. J'affirme sans contredit que c'est la solitude. Riche ou pauvre, être seul, sans amour autour de soi, c'est vivre dans l'abîme. Devenus vieux, on a besoin de partager ses expériences de vie. Quand souvent la mort laisse seul des conjoints qui ont 50 ans et plus de vie commune, le besoin de chaleur humaine devient vital. Il faut remercier le ciel si l'attention de la famille, l'amitié des proches est présente dans la vie des aînés.

Mais vieillir, c'est aussi et surtout...

C'est le privilège d'atteindre cette étape ! Pour l'apprécier, il faut évidemment, avoir la santé physique et mentale, et les moyens pécuniaires pour pourvoir à ses besoins.

C'est le temps de vivre les moments de repos espérés durant les années de course à l'efficacité et à la performance. C'est celui de marcher dans la nature, de jouir des couchers de soleil que l'on a pas eu le temps d'apprécier. C'est celui d'entreprendre les activités toute particulière à ses aspirations personnelles. On peut se soûler de musique, de lire, on peut se renseigner sur les intérêts de nos petits enfants afin d'être "cool" durant les discussions partagées. On peut s'initier aux nouvelles technologies comme l'informatique. C'est également le temps d'écrire...

Tout le bagage d'expériences vécues devrait inciter les personnes âgées à transmettre aux plus jeunes, les événements intéressants de leurs vies. Face à la mort qui approche, plus d'un sera persuadé que son vécu est sans intérêt. Mais pour la postérité, la vie des aînés n'est jamais ordinaire.

Pour que les vieux d'aujourd'hui et de demain soient porteurs de beautés, de sagesse et de paix, il faut avoir cultivé la gentillesse, la générosité, la simplicité, l'ouverture d'esprit. C'est à ce prix que l'on récoltera la douceur, la tolérance, la compassion, le respect. Conséquemment, l'on pourra partager la tendresse, la sincérité et espérons le, le sens de l'humour. Et... peut-être.....ne serons-nous jamais seuls. (12-10-08)