(171) Opération raccrochage

20 mars 2009 - Le présent et l’avenir d’une nation reposent en grande partie sur les forces vives de sa jeunesse. C’est évident. Le destin d’un pays, d’une nation dépendra toujours de la qualité de l’éducation de son peuple. On n’en sort pas! Chiffres désastreux à l’appui, le décrochage scolaire continue de miner sérieusement l’avenir du Québec. Des générations de jeunes arrivent trop tôt sur le marché du travail, peu formées, peu éduquées, sans diplôme en poche. Le problème du décrochage scolaire retient l’attention cette semaine. Qu’en est-il au juste?

Voilà qu’un groupe de travail, parrainé par le banquier Jacques Ménard, vient de lancer mardi dernier un chantier national contre le décrochage scolaire. À maintes reprises, sur ce blogue, j’ai abordé cette situation alarmante et même lancé un appel à une prise en charge de ce fléau national. Le rapport Ménard propose dix solutions pour que les Québécois prennent leur destinée en main. D’ici 2020, ce Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaire propose de hausser le taux du nombre de diplômés de niveau secondaire à 80%. Il se situe actuellement au Québec à 69%, soit au neuvième rang sur 10 au Canada. Dire qu’en 1995, il y a quatorze ans, les états généraux sur l’éducation avaient mis la barre à 85%. Rien n’a bougé; si, pardon, vers le bas! Saviez-vous que notre vaste et riche pays, le mieux équipé au monde pour faire face aux aléas de la crise économique, arrive au 16e rang parmi les pays développés pour son taux du nombre de diplômés du niveau secondaire? Il n’y a pas de quoi « se péter » les bretelles!

Les études et les statistiques ne manquent sur la réalité du décrochage scolaire dans la belle province. Un jeune sur trois n’a pas de diplôme d’études secondaires générales ou professionnelles au Québec. Je l’ai dit et je le répète, c’est un drame national. Le Québec, après tout, n’est pas une région défavorisée du tiers-monde. Nous avons investi depuis des décennies des sommes astronomiques dans notre système d’éducation. Les artisans de la Révolution tranquille avaient fait de l’éducation pour tous la pièce maîtresse, la pierre angulaire du nouveau Québec. Comment se fait-il que quarante ans plus tard 100 jeunes du secondaire décrochent chaque jour? La problématique est sérieuse et l’heureuse initiative de Jacques Ménard et ses collègues mérite notre encouragement et notre appui. Certains se disent déçus des objectifs modestes du Groupe d’action, mais il faut bien commencer quelque part. Le raccrochage scolaire demande une opération collective, une mobilisation nationale si l’on veut que cela réussisse.

Nous le savons bien, les causes du décrochage sont nombreuses et enchevêtrées. Tout n’est pas si clair lorsque l’on examine tant soit peu la réalité des jeunes de chez nous. Entre vous et moi, ces derniers ne décrochent pas que de l’école, de la vie aussi. L’école n’est pas la seule responsable de tous les maux de la société. Elle est certes un lieu important de la transmission du savoir, mais sans contredit, en collaboration avec les parents et les artisans du milieu éducatif, un espace inédit pour affirmer le savoir-être et valoriser le savoir-faire. Les jeunes sont à maintes reprises la proie d’arnaqueurs et de prédateurs de la publicité; ils sont parfois et souvent les victimes d’usurpateurs d’identité qui leur vendent un monde éphémère et illusoire. Nous le savons que trop bien, les jeunes décrocheurs seront plus à risque: précarité de l’emploi, aide sociale, ennui de santé. N’y a-t-il pas un vide profond au cœur de ce Québec en recherche identitaire, en quête de sens?

Il y a chez plusieurs jeunes que je rencontre un No Where existentiel. Dans ce monde de l’éphémère, du superficiel et des gadgets, où sont les points d’ancrage? Sur quelles valeurs les jeunes de chez nous peuvent-ils bâtir leur vie, se projeter dans l’avenir? Le socle de leur maison ne sera-t-il déposé que sur le sable de l’éphémère, de la facilité, de la surconsommation? Lorsque des jeunes regardent quelque peu la dégringolade des institutions financières, la fraude éhontée de ces arnaqueurs sans remords des économies des petites gens, le manque d’éthique de nos dirigeants bardés de diplômes, que se disent-ils dans leur for intérieur? Vous devinez sans aucun doute les profondes questions existentielles qui surgissent dans leur tête et dans leur âme. Pourquoi étudier, pourquoi se forcer, pourquoi vivre même?

Mon père Simon, né au début du vingtième siècle, avait quitté l’école après quelques jours de présence seulement pour prendre le chemin qui menait à l’époque dans les chantiers forestiers. Il fallait survivre en ce temps-là. L’école du rang dans sa Gaspésie natale avait peine à trouver une enseignante qualifiée pour offrir les premiers degrés du primaire. C’était la période des classes à degrés multiples. Ma mère, deux ans plus jeune, avait réussi à terminer sa cinquième année du primaire lorsqu’elle dut laisser l’école du rang pour soutenir sa mère veuve et malade avec sept enfants sur les bras. C’était le Québec de la petite misère. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui, rendons grâce à Dieu. Mais avec ces statistiques alarmantes du rapport Ménard où en sommes-nous?

Mes parents, si peu instruits, ont tout fait pour offrir à leurs neuf enfants la possibilité d’étudier, de se tailler une place dans la vie; une place basée sur les valeurs de l’effort, de l’honnêteté, de la persévérance, de la générosité, de la solidarité. Pour eux, l’éducation était un gage d’avenir, d’épanouissement. Oui, où en sommes-nous aujourd’hui? Qu’allons-nous faire collectivement pour offrir à nos enfants un avenir prometteur, un coin de pays où ils pourront devenir quelqu’un. Paul Valéry disait : « L’éducation ne se borne pas à l’enfance et à l’adolescence. L’enseignement ne se limite pas à l’école. Toute la vie, notre milieu est notre éducation. » La lutte au décrochage, ça nous concerne tous!

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7 commentaires:

Auditeur RVM a dit...

Armand Crevier) Je suis étonné de la qualité de vos réflexions. Je suis impliqué avec un groupe de parents dans le soutien scolaire. J’aime bien vos paroles et je pense que cela fera une bonne réflexion au sein de mon équipe. Merci et continuez !

Auditeur RVM a dit...

(Luc Senay) Je suis étudiant universitaire. Je me suis senti abandonné dans le milieu secondaire. Une chance que j’ai eu des parents qui m’ont soutenu, qui ont cru en moi. Félicitations pour vos articles. Ils sont rares les blogues avec autant de profondeur. 22-3-09

Auditeur RVM a dit...

(Diane Martin) J’aime ce que j’ai lu. C’est très inspirant. Les jeunes, nous en sommes toujours responsables. 21-3-09

Auditeur RVM a dit...

(Murielle Simard) Bravo ! Je suis un ex-enseignante et je sensible à ce que vous écrivez. Cela me touche beaucoup. Félicitations pour votre blogue. 21-3-09

Auditeur RVM a dit...

(Serge Robert) Un texte magnifique. Je pense que tous les éducateurs et les parents devraient lire ce texte. Vous avez entièrement raison. Vous le ton juste. Il faut faire quelque chose collectivement. Je vous remercie. 21-3-09

Auditeur RVM a dit...

(Rolland Danis) Bonsoir, Jean-Guy. Ce m'est toujours un enrichissement intérieur à lire tes blogues. Comme je parcours le Québec par l'approche des bibliothèques des écoles secondaires, je m'en fais une petite idée. Beaucoup trop n'offrent pas de bons ouvrages à leur clientèle, parce que celle-ci est estimée incapable de comprendre les ouvrages présentés. Et ce que je présente, à mon humble avis, devrait se comprendre même à la fin du primaire. Le Québec a du chemin à faire. Donc, toutes mes félicitations pour tes articles. Et à bientôt à Radio Ville-Marie. 20-3-09

Auditeur RVM a dit...

(Jean-Maurice Huard) Cher Jean-Guy, je te félicite, tu n'es pas trop alarmiste. Mais... la situation est très grave. En 1969, j'ai marié une professeur d'origine philippine. En 1972, elle est retournée au travail. En arrivant à l'école où on l'avait engagée pour donner des cours de sciences, elle eut la surprise d'avoir à utiliser des livres qui avaient été retirés des écoles aux Philippines 8 ans auparavant, parce qu'étant dépassés du côté des sciences. Les syndicats ont par la suite imposé aux commissions scolaires l'obligation du respect de l'ancienneté des professeurs. Ainsi un ancien professeur d'éducations physique qui avait perdu sa classe était nommé professeur de religion, de sciences même s'il n'y connaissait rien.
Puis la Charte des Droits et Libertés s'est imposée. Les parents ont fait plier les autorités et gouvernementale et scolaire. Tous les élèves doivent monter de classe. Les professeurs ne peuvent imposer la discipline à cause de la Charte. Actuellement, les anciens professeurs abandonnent et les nouveaux changent de métier. Ton article en explique les raisons!
Une lueur d'espoir apparaît à la page 35 de la revue l'Actualité du 15 avril. 125 élèves de niveau secondaire 1 et 2, dans une classe de Verdun sont en train d'expérimenter un nouveau programme. Est-ce le début prometteur d'une nouvelle réforme? 20-3-09