( 58 ) La sourde oreille

31 octobre 2007 - Les bruits nous envahissent de toute part. Attablé dans un joli restaurant, je me suis mis à balayer du regard l’environnement qui s’offrait à moi. Décor agréable, éclairage ajusté, menu varié, pas trop bondé par-dessus le marché. À part de légers bruits de vaisselle au loin, je n’y entendais pas de grandes gueules qui généralement nous tombent sur les nerfs quand on veut avoir la paix. À quelques mètres, je vis un petit homme bedonnant affalé sur sa chaise, tête plongé dans le journal du jour. Ses deux pieds touchant à peine le sol, il était branché mes amis, pas à peu près! Il avait un téléphone cellulaire accroché à son oreille droite, un baladeur numérique dans l’oreille gauche et il jetait de temps en temps un coup d’œil sur son portable en fonction sur le coin de la table. Plus branché que cela, tu deviens fou! J’en avais mal aux oreilles pour lui!

Selon plusieurs spécialistes, notre société est en train de créer un monde de sourds. Un Canadien sur dix souffre d'une perte de l'audition. Chez les aînés, plus de 50 % souffrent de dommage à l'oreille interne. Souvent ce dommage est irrémédiable. Des niveaux de surdité jamais vu chez les jeunes apparaissent dès la fin du primaire. J’ai toujours aimé le silence du matin, le calme avant la reprise du boulot. Comme vous et moi, nous constatons que malheureusement les tapageurs ne cessent d’envahir notre quiétude. Tous les sons, même les plus agréables, peuvent devenir nocifs pour le système auditif. Tout est une question de dosage. Un disque de Mozart, de Beethoven ou de Céline Dion aussi beau soit-il peut devenir agressant, voire un bruit insupportable. Nous avons tous fait l’expérience dans certaines discothèques ou soirées festives; les décibels à fond la caisse nous rendent dingues! Tout est dans le crescendo mes amis! On ne s’entend plus parler, on parle plus fort, nos oreilles bourdonnent, on en perd même la voix. Dire qu’il y a tant de jeunes qui subissent cela à cœur de journée. On peut se demander si tous ces amplificateurs de son ne sont pas trop puissants?

Il est bon de savoir que l’on perd une partie de notre ouïe dès l’âge de 15 ans. Le fait d’écouter un son fort n’est pas dangereux en soi, mais l’écouter longtemps et d’une façon répétitive peut le devenir sans contredit. Imaginez, certains baladeurs numériques atteignent 115, 120, voire 140 décibels. Attachez-vous mes amis, cent quarante décibels, c’est le bruit que fait un avion à réaction quand il décolle. Quand je vois des ados taper du pied dans les transports en commun avec leur fameux baladeur; ils sont presque en transe! J’entends facilement de mon siège les sons du baladeur de mes voisins d’en face. C’est assez fort merci; il y a de quoi partir en orbite! L’oreille interne est fragile et les baladeurs numériques ou pas, peuvent l’endommager gravement. Plus de 50% des adolescents américains ont des problèmes d’audition. Nombre d’adolescents connaissent déjà une diminution de la capacité auditive équivalente à celle d'un adulte de trente ans. Sommes-nous en train de créer une société de plus en plus malentendante?

Il n’est pourtant pas facile d’ajuster le son correctement dans notre environnement immédiat, les points de repère ne sont pas toujours évidents. Nous avons l’impression que plus c’est fort, meilleur est l’audition. C’est totalement faux! Généralement, une personne qui parle à côté de soi produit entre 55 et 70 décibels, la musique qui sort d’un haut-parleur en produit 85. C’est la limite sécuritaire. Dans une salle de cinéma, on peut s’attendre à des pointes de 120 décibels. À 100 décibels, deux personnes ne peuvent plus se parler normalement et doivent hausser le ton pour s’entendre. Dans le monde du son, tout s’additionne : la musique ambiante, les paroles des gens, les bruits de chaise, etc. Les écouteurs qu’on a dans les oreilles sont plus nocifs que les écouteurs sur les oreilles pour la simple et bonne raison qu’ils sont plus près du tympan. Après une exposition à une forte intensité sonore, il importe de reposer l’oreille. Ici, on infirme le fameux diction «Ça rentre par une oreille, puis ça sort par l’autre.» Ça rentre, point final!

Malgré les campagnes de sensibilisation, la population se fait tirer l’oreille et la roue tourne: on n'entend pas bien, donc on hausse encore un peu le volume. «Nous montons tous le volume sans réaliser les dommages que nous causons», déplorait Brian Fligor, audiologiste au Boston Children's Hospital, dans le magazine Rolling Stone en 2005. «La perte d'audition causée par le bruit se développe de façon si graduelle et insidieuse qu'on ne saisit pas l'ampleur des dégâts avant qu'il ne soit trop tard.» Il me semble que les autorités de la santé devraient imposer une limite de volume sur les baladeurs. À titre préventif, les producteurs d’appareils électroniques pourraient sans doute apposer un autocollant indiquant les niveaux d’écoute: faible, normal, à risque. Le regretté humoriste Raymond Devos disait: «Il m’est arrivé de prêter l’oreille à un sourd. Il n’entendait pas mieux.» La majorité silencieuse commence-t-elle à en avoir assez de la majorité tapageuse? Il serait temps qu’elle se fasse entendre!


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3 commentaires:

conscience a dit...

J'ai lu avec un grand intérêt votre article sur la pollution par le bruit. Je complètement d'accord avec vous. J'ai des voisins très bruyants. J'ai beau les avertir, rien ne change. Merci pour vos textes toujours intéressants.

Auditeur RVM a dit...

Bonjour,

J'ai lu avec grand intérêt votre article la sourde oreille. Je ne puis
qu'approuver sans réserve l'ensemble de vos propos. À propos des fameux
baladeurs, un souvenir me vient en mémoire. Assis à l'avant d'un autobus qui
roulait sur l'autoroute, donc dans un environnement déjà bruyant, je
parvenais à entendre ce qu'écoutait un passager assis vers le milieu. Et que
dire de ces discothèques sur quatre roues qui sillonnent nos rues et dont
les basses fréquences pénètrent jusqu'à l'intérieur des maisons, même en
plein hiver quand toutes les fenêtres sont fermées.

Par ailleurs, je constate que cette manie de la sur-amplification gagne même
parfois certains lieux de culte. L'été dernier, lors de la célébration d'un
mariage dans la paroisse où je suis organiste, l'amplification était
tellement poussée que le chant de la soliste tout autant que les textes lus
par le prêtre en devenaient agressants. Au point où je suis sorti de
l'église, incapable de supporter plus longtemps le niveau sonore. (Fort
heureusement, je n'étais pas en fonction à ce moment!) Et dire que je me
trouvais dans un lieu de ressourcement et de calme...

Certains responsables paroissiaux auraient peut-être avantage à lire et
méditer ce très beau passage de l'Ancien Testament (dans Isaïe, je crois) où
il est dit que c'est dans le murmure d'une brise légère que la voix de Dieu
s'est faite entendre, et non dans le tumulte de l'orage, ou, oserais-je
ajouter, dans la stridence de nos amplificateurs... Bonne journée, (M.C.)

Auditeur RVM a dit...

On vit dans un monde bruyant. Les gens pensent qu’il faut crier pour qu’on les entende.
Je constate que les gens ont peur du silence, surtout les jeunes. Je pense qu’il faut apprendre à retrouver le silence.