( 88 ) Les démunis ont froid!

12 décembre 2007 - L’hiver a fait son nid pour longtemps semble-t-il! On nous promet un hiver pas comme les autres, très rigoureux. Il y a rien de rigolo. Enfonçons nos tuques, armons-nous de crampons, préparons nos pelles! Comme dit la chanson que nous fredonnions dans les colonies de vacances: «C’est bien plus chaud en bas de laine qu’en bas de zéro». L’hiver n’est pas fait que de plaisirs pour bien du monde. Il s’agit de se promener dans nos centres urbains pour prendre conscience de l’ampleur de l’itinérance et des drames qu’elle engendre.

En regardant par la fenêtre du restaurant où je m’étais attablé avec des collègues, je ne pouvais quitter des yeux un itinérant planté comme un sapin tout gelé au coin de la rue Ste-Catherine. J’essayais au hasard des conversations bien animées, de me mettre à sa place quelques instants en ce matin plutôt frisquet. Que pouvait-il penser de tous ceux et celles qui passaient à ses côtés, de nous qui dégustions un bon repas bien au chaud, de tous ces gens aux pas rapides qui magasinaient fébrilement en cette période du Temps des fêtes? Il y a quelque chose qui m’échappe dans ce phénomène de l’itinérance. J’ai plus souvent qu’autrement l’impression de me sentir démuni, impuissant. Comment se fait-il que ce phénomène soit en croissance dans un Québec qui affiche une prospérité inégalée?

Une étude de Santé Québec, produite en 1998, signalait à près de 40 000 les personnes qui avaient recours aux refuges de nuit, au centre de jour, aux soupes populaires à Québec et à Montréal. Imaginez dix ans plus tard! Lorsque vous circulez au cœur de ces grandes villes, le phénomène est criant. On estime que les chiffres dépassent maintenant les 50 000 personnes. Tous les intervenants des milieux communautaires signalent que l’itinérance n’est plus uniquement un phénomène urbain, elle s’étend de plus en plus dans les différentes régions de la province; elle a quitté les grandes villes pour les capitales régionales. Voilà que le Réseau de solidarité itinérance du Québec (RSIQ) réclame du gouvernement Charest la mise en place d’une politique en itinérance ainsi que plus d’argent pour lutter contre ce fléau. La coalition manifestera d’ailleurs ce mercredi sur la Colline parlementaire.

Selon le chanteur Dan Bigras, un des porte-parole de la coalition de ces organismes communautaires, «il faut arrêter la production sociale de l’itinérance» et l’inévitable exclusion sociale qui s’ensuit. Les itinérants ne sont plus tolérés dans l’espace public. Vivre de l’itinérance, c’est vivre la plupart du temps étranger dans son propre pays. Ce qui m’avait frappé lors de mon retour au Québec, après quelques années passées à l’étranger, c’était l’omniprésence des mendiants, des itinérants. Il y en a partout à Montréal: aux entrées des pharmacies, des restaurants, des salles de spectacle, des églises. On quête partout!

Que l’on se rappelle le cri d’alarme lancé cet automne par les responsables des refuges montréalais. L’aide gouvernementale ne réussit qu’à payer une infime partie des frais encourus par ces maisons essentielles à la survie de la population itinérante. Nous entendons des remarques souvent désobligeantes, acerbes parfois, de personnes bien nanties: «Ils n’ont qu’à travailler. Qu’ils arrêtent de se saouler et de consommer de la drogue. Qu’ils se prennent en main!» Nous savons très bien que le phénomène de l’itinérance est plus complexe que cela. J’ai un de mes oncles qui a vécu dans l’itinérance une grande partie de sa vie. Il habitait dans une tente de fortune fabriquée de vieux cartons couverts de plastique pour résister aux intempéries. Elle était bien plantée à l’orée d’un petit bosquet; il y vivait même l’hiver. De temps en temps, il frappait à la porte d’une de mes vieilles tantes pour prendre un peu de chaleur et un bon bain chaud. Il est mort dans l’anonymat total cette année!

Nous n’avons jamais compris pourquoi cet oncle avait pris le chemin de la rue. Il avait pourtant une famille, un travail régulier, une vie bien réglée quoi! Puis un jour, tout a chamboulé. Ce ne sont pas les mains tendues qui ont manqué pour l’aider à s’en sortir. Il y a des drames humains qui se jouent tous les jours sous nos yeux; aveuglés par notre bien-être personnel, nous n’osons plus regarder la misère, nous n’osons plus poser des gestes porteurs d’humanité et de dignité. En cette période où l’hiver se fait rude, nous ne pouvons laisser sous silence ces hommes et ces femmes qui logeront dans des abris de fortune dans des recoins de la ville. Ils sont des gens de chez nous, un frère, une sœur, un cousin, un oncle, une amie. Il est temps que nos gouvernements mettent de l’avant les ressources nécessaires pour venir en aide aux plus démunis de notre société.

Ceux et celles qui ont vécu la souffrance, qui ont été démunis peuvent sans doute mieux comprendre le drame qui se passe dans la vie des personnes itinérantes. Ne faut-il pas avoir été démuni pour combler; avoir très souffert pour consoler avec tendresse? Chaque personne, si démunie qu’elle soit, apporte quelque chose que nulle autre ne saurait nous révéler. Nos fragilités ne sont-elles pas des chemins de croissance, des voix inédites pour la réalisation et le dépassement de soi. Noël approche à grands pas! Ce n’est pas uniquement la frénésie des fêtes et la course aux emplettes; c’est aussi la naissance d’un enfant dans un abri de fortune. Un enfant qui a changé la face de la terre, qui suscite toujours le goût de donner le meilleur de nous-mêmes, qui redonne une lueur d’espoir aux plus démunis. Au fond, le manque d’amour n’est-il pas la plus grande des misères?


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3 commentaires:

Auditeur RVM a dit...

Il faut aider les itinérants; ils le sont devenus souvent à cause de nous! (B.C.)

Auditeur RVM a dit...

Je suis, moi aussi, frappée par tous ces gens qui quêtent un peu partout et ils sont de plus en plus jeunes. Difficile à comprendre cette société qui déborde de richesses. Nous ne savons plus comment intégrer nos jeunes. L’itinérance est souvent un refus de société. C’est un constat d’échec de nos politiques sociales, de la place faite au citoyen. (T.M.)

Auditeur RVM a dit...

L’itinérance est un miroir de notre société. Ces gens nous renvoient un portrait pas trop jojo. Nous avons bien des questions à se poser. Merci pour votre belle réflexion. C’est toujours agréable de vous lire. (M.T.)