( 107 ) Dernier tour de piste

28 janvier 2008 - Il y a toujours des nouvelles qui nous attristent, qui viennent nous chercher quelque part, on ne sait pas pourquoi. Mardi dernier, tous les grands médias annonçaient la mort tragique et encore mal expliquée du jeune acteur australien de 28 ans, Heath Ledger. Choc dans le monde du cinéma et chez des milliers de cinéphiles de tous les coins de la planète qui appréciaient cette étoile montante, pour ne pas dire filante du septième art. Jeune, intelligent, talentueux et belle gueule, il faisait l’envie de bien des gens de métier, qui ont trimé dur pour ne jamais atteindre la stature qu’il avait atteinte en si peu de temps. Comme on dit: «Il était né sous une bonne étoile.» Mais derrière ce talent et ce succès, se cachait sans doute une grande fragilité intérieure, devenue insupportable.

Tout d’abord Ledger est né le 4 avril 1979 à Perth en Australie, d’un père ingénieur et d’une mère enseignante de français. Très tôt, il reçoit une formation sportive et artistique très poussée. De carrure de joueur de rugby et au visage angélique, Heath Ledger se fait remarquer très tôt puisqu’il débute sa carrière à l’âge de dix ans. La carrière de ce jeune acteur, très physique, prend son envolée au côté de Mel Gibson dans le magnifique film The Patriot où il incarne le courageux et intrépide Gabriel. Il enchaîne les succès jusqu’au fameux rôle risqué et refusé par nombre de stars dans Brokeback Mountain où il incarne Ennis del Mar; histoire d’une relation interdite entre deux cow-boys qui lui vaudra une nomination aux Oscars en 2006. Par la suite, il enchaînera avec le personnage principal de Casanova, la vie de Bob Dylan dans Dirty Music qu’il tournera à Montréal, le Joker dans le prochain Batman intitulé The Dark Knight qui sortira en salle dans quelques mois. Décidément, rien n’arrêtait ce marathonien du cinéma!

Ledger était un acteur qui prenait des risques. Il voulait combattre ses peurs, peut-être ses démons intérieurs. Dans une récente entrevue, il disait: «J’aime prendre des risques, sinon je vais m’ennuyer.» Père de Matilda Rose qu’il avait eue en octobre 2005 de l’actrice Michelle Williams avec qui il venait tout juste de rompre, Heath Ledger semblait avoir renoué avec ses tourments intérieurs. Le cow-boy fuyant et tourmenté, qu’il a si bien incarné dans Brokeback Mountain, semblait avoir fait mouche dans sa propre vie. Cet acteur distant et même résistant aux rassemblements, aux paparazzis, au star système quoi, aura succombé à la pression devenue infernale! Je ne sais pas s’il voulait vraiment être acteur ; il jouait intuitivement et aisément. Il disait: «Je ne parle pas de mes convictions, car j’ai peur d’avoir des ennuis.» Il exprimait fréquemment sa difficulté de concilier sa vie privée et son métier.

Le succès de Heath Ledger est indéniable. La presse à sensation spécule sur tout et rien de sa vie ; les histoires rocambolesques, les relations douteuses font vendre! C’est sans doute celle-ci, la pression hollywoodienne et la rupture avec Michelle Williams qui ont poussé Ledger à la surconsommation de drogues et de médicaments. Cette machine de stars qui mène autant au succès qu’à la déchéance est sans pitié. Combien de jeunes acteurs talentueux ont subi le même destin tragique? Ils sont malheureusement trop nombreux.

La mort de Ledger mérite que l’on s’interroge certes sur notre équilibre personnel, sur l’essentiel de nos vies. Entre vous et moi, on ne quitte pas ce monde à 28 ans, avec une carrière auréolée de succès, en laissant derrière soi une petite fille de deux ans que l’on aime éperdument. La mort vient parfois à nous comme un aimant, elle nous attire, elle devient comme la seule avenue possible devant une pression devenue insoutenable. La question demeure entière sur cette machine de stars qui ne cesse de faucher des vies à ceux qui, de toute bonne foi, ont risqué leurs pas, leurs talents, leur vie au service de ce monde du rêve, de l’imaginaire, du tape-à-l’œil et de la notoriété.

Notre propre système de stars québécois n’est pas exempt de cette pression, de cette machine d’idoles à fabriquer à tout prix. Nous n’avons qu’à penser au départ prématuré du journaliste Gaétan Girouard, au chanteur André Fortin pour ne nommer que ceux-là. Quand je vois de nombreux jeunes, qui se connaissent à peine et qui, naïvement, tombent dans le panneau des Star Académie, Occupation double et de tous ces mirages éphémères du glamour, je suis triste. Il faut côtoyer ce monde artistique pour saisir combien il est difficile de percer, de garder sa personnalité, de protéger son intimité et ses valeurs. J’ai longuement échangé et partagé avec plusieurs comédiens et chanteurs qui ne peuvent plus vivre l’angoisse du téléphone qui ne sonne plus, la pression d’agents démesurément ambitieux et exploiteurs de talents. Quand la machine te pompe à satiété et finit par t’ignorer, c’est horrible et scandaleux!

Dans son dernier tour de piste, l’acteur Heath Ledger nous fera encore découvrir son immense talent dans le prochain film de Batman qui sortira en salle dans quelques mois. Il saura nous surprendre comme la mort qui vient de le ravir beaucoup trop tôt, à l’aurore d’une carrière époustouflante. Il restera pour ses admirateurs un symbole, un chef d’œuvre inachevé. Puisse son dernier voyage lui permettre de revoir la terre qui l’a venu naître et où il se sentait si bien parmi les siens! La vie ne sera jamais un rôle, joué aussi brillamment soit-il, au théâtre comme au cinéma. Oui, jouer un rôle ne sera jamais la vraie vie; Heath Ledger le savait très bien. À nous qui visionnerons à l’occasion sa filmographie, gardons de lui son goût du risque, sa détermination, son immense talent, sa soif de vérité et son désir d’aimer. S’il vous plaît, n’encourageons surtout pas cette presse à sensation et à potins qui ne cesse de détruire les plus grands talents d’ici et d’ailleurs!

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5 commentaires:

Auditeur RVM a dit...

(Claire Champagne) « Je suis entièrement d'accord tous ces mirages que l’on l'on fait voir à notre jeunesse ne sont rien de réjouissant pour l’avenir. Quant à moi je ne me permets plus de regarder les émissions qui ne servent qu’à détruire la jeunesse . Une qui prendra la résolution de vous lire vous êtes intelligent à mes yeux. » (28-01-2008)

Auditeur RVM a dit...

(Luc Lemieux) « Je lis à l’occasion votre blogue. Je trouve votre réflexion bien à propos. Nous sommes dans un monde où le paraître prime sur l’être. Beaucoup de jeunes sont fascinés par ce qui brille. Souvent, ce n’est qu’un feu de paille. » (28-01-2008)

Auditeur RVM a dit...

(Cécile T.) « J’ai regardé plusieurs films de Heath Ledger. C’est vrai, il avait du talent mais je pense que le sujet délicat joué dans Brokeback Mountain lui a sans attiré des problèmes. Les groupes conservateurs l’ont traité de démoniaque. Paix est son âme. » (28-01-2008)

Auditeur RVM a dit...

(Diane Chartier) « Merci de nous faire réfléchir sur le monde des artistes. C’est vrai que nous sommes un peu comme des voyeurs. Nous voulons tout savoir et nous achetons ces revues remplies de rumeurs et de faussetés. Nous sommes tous un peu coupables » (28-01-2008)

denis a dit...

Le Star Système est le prolongement de notre société capitaliste. Tout est vendable, même les produits culturels. Le cinéma, 7e Art, comme tous les autres Arts se vendent au plus offrants. L'auteur littéraire de 'Madame Bovary' au 19e siècle devait écrire des oeuvres littéraires érotiques afin de vivre de son Art. Rien de nouveau sous le ciel bleu. La 'Bohème' d'Aznavour est du domaine de la poésie de nos jours, un stéréotype de l'artiste, mais qui existe encore de nos jours pour ceux qui sont dans la course de la compétition du milieu artistique. Si un artiste voulait vivre de son Art sans 'vendre son âme au diable', il doit payer le prix de la solitude, de la pauvreté et de mourrir seul comme Shubert. Fervent croyant, Handel connaissait l'impact 'commercial' de ses oratorios, surtout du 'Messie', à l'époque c'était le Hit du moment, à ce propos il mentionnait: 'Je regretterais d'avoir simplement diverti mes auditeurs: je souhaiterais les rendre meilleurs.' Comme pour toutes activités humaines Handel a exprimé le but d'une telle activité par la Musique. Je crois que le seul domaine de l'Art qui n'est pas encore récupéré par le système est bien le Chant Choral, de bien maigres recettes pour y vivre.

Je suis convaincu que Heath Ledger croyait ce que Handel disait. Il ne faudra pas non plus mettre tout le blâme sur la récupération de son nom notoire pour faire vendre plus de films. Il a aussi sa vie personnelle, il venait de se séparer de sa conjointe. Dans ce contexte, comme pour toutes personnes vivant une séparation, tout dépend de la solution que cette personne ferait dans une telle situation de crise. C'est très significatif pour moi la méthode qu'il a utilisée pour cesser de souffrir, comme pour tous les gens qui prennent cette méthode. Un médicament n'a t-il pas comme effet de soulager une douleur? Cette même journée il avait un rendez-vous, dans sa chambre d'hôtel, avec un masseur. C'est d'ailleur ce dernier avec la femme de ménage qui l'ont retrouvé mort. J'imagine pendant cet instant d'attente, entre son masseur ou cesser de souffrir définitivement, un moment terrible dans la solitude. Bien souvent le triste constat du suicide.